A priori, rien ne devrait relier l'UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l'Éducation, la Science et la Culture) aux mondes du cheval. Pourtant, en novembre 2011, cette organisation a inscrit « L'équitation de tradition française » sur la liste représentative du Patrimoine Culturel Immatériel de l'Humanité.

Reconnaissance d'une valeur inestimable? Label de particulière excellence? Cadeau fait à la France ? Rien de tout cela. Voici la bonne explication.

Le Patrimoine mondial, monuments et sites remarquables.

L'UNESCO (70e anniversaire de sa création en 2015) avait décidé en 1972 de classer au Patrimoine mondial des œuvres d'art et monuments dont l'exceptionnelle qualité et la rareté méritaient qu'ils soient protégés comme des biens communs à tous les peuples au-delà de l'État où ils se trouvaient. L'émotion créée par le risque d'engloutissement des temples de Ramsès II à Abou Simbel, lors de la construction du haut barrage d'Assouan, avait mobilisé l'UNESCO et permis de les surélever. Ce cas exemplaire fut à l'origine des procédures de classement. Ainsi, les pyramides en Égypte, le Parthénon en Grèce, la cathédrale de Chartres en France...

Puis la protection de sites naturels s'est ajoutée à celle des monuments, souvent en lien avec le classement de monuments ou d'ensembles de monuments qui prennent tout leur sens par le cadre naturel où ils s'inscrivent.

Le Patrimoine culturel immatériel, pratiques vivantes et transmises.

Le Japon en consacrant certains artistes comme « trésors vivants » a donné l'exemple de la nécessité de sauvegarder des pratiques, des savoir-faire, des traditions. L'UNESCO a donc proposé aux États, en 2003, de signer une convention par laquelle ils s'engagent à sauvegarder des éléments du patrimoine culturel immatériel. Chaque année, des traditions vivantes sont ainsi proposées par les États signataires de cette convention et classées par l'UNESCO.

« Le patrimoine culturel ne s'arrête pas aux monuments et aux collections d'objets. Il comprend également les traditions ou les expressions vivantes héritées de nos ancêtres et transmises à nos descendants, comme les traditions orales, les arts du spectacle, les pratiques sociales, rituels et événements festifs, les connaissances et pratiques concernant la nature et l'univers ou les connaissances et le savoir-faire nécessaires à l'artisanat traditionnel » (site UNESCO)

Les critères de reconnaissance ont changé

« La volonté de préserver la diversité culturelle face à la mondialisation »

« La richesse des connaissances et du savoir-faire qu'il transmet d'une génération à une autre » (id)

La ou les communautés qui se réclament de la tradition sont les seules habilitées à décider de la valeur pour elles.

Exemples de patrimoine culturel immatériel reconnus par l'UNESCO

Des chants, musiques, danses, formes de théâtre.

Le théâtre Kabuki au Japon, l'opéra tibétain en Chine. Pour la France, des musiques des DOM. « Le maloya » de l'Île de la Réunion et le « Gwoka » de Guadeloupe voisinent avec « Le Cantu in paghjella profane et liturgique de Corse », ce dernier considéré comme particulièrement en danger et donc à protéger d'urgence. On le voit ce furent des traditions propres à des espaces culturels minoritaires qui ont été retenues pour la France.

Des cérémonies et fêtes traditionnelles

Si de nombreuses processions, carnavals, fêtes annuelles réparties dans le monde entier ont été retenues, la France en a proposé trois qui ont été acceptées. «  Les ostensions septennales limousines » , « Géants et dragons processionnels de Belgique et de France », « Le fest-noz, rassemblement festif basé sur la pratique collective des danses traditionnelles de Bretagne ».

Des pratiques artisanales

La Chine a fait particulièrement inscrire de nombreux savoir-faire, fabrication du papier, de pont en bois en arc, la soie et l'acupuncture, la xylographie etc. En France ce sont « La tapisserie d'Aubusson », «  La tradition du tracé dans la charpente française », «  Le compagnonnage, réseau de transmission des savoirs et des identités par le métier », « Le savoir-faire de la dentelle au point d'Alençon » qui sont maintenant inscrits.

Des formes de rapport à l'animal

Cette catégorie est beaucoup plus rarement présente, les rapports de l'UNESCO le notent et regrettent que cette forme de relation à la nature ne fasse pas l'objet de plus d'attention dans la perspective du développement durable qu'elle souhaite mettre en avant. L'élément sur la soie (en Chine) comporte un volet sur la relation au vers à soie, La pêche aux crevettes à cheval à Oostduinkerke (Belgique), Les traditions pastorales et les chars à bœufs du Costa Rica (même si la construction des chars semble prendre plus de place que le dressage des bœufs) relèvent de ce domaine.

On notera par exemple que le dressage des éléphants pour le travail mériterait sauvegarde au moment où l'extinction des espèces d'éléphants sauvages semble inéluctable.

La France est bien représenté par La fauconnerie, un patrimoine humain vivant (avec 12 autres pays d'Europe, Moyen Orient et Asie) et L'équitation de tradition française.

Voilà comment l'UNESCO s'est intéressée au cheval.

L'équitation de tradition française. Pourquoi ?

 
La demande initiale avait été faite par l'École Nationale d'Équitation sous le titre 
« L'équitation de tradition française ; le Cadre Noir de Saumur » et on trouve sur le site du ministère de la Culture le dossier d'inscription sur la liste, élaborée par la France, de son propre Patrimoine Culturel Immatériel.
http://www.ethnologie.culture.gouv.fr/ethno_spci/pdf2/esperey_cadre_noir.pdf
 

Équitation de tradition


Les auteurs du dossier ne voulaient pas faire reconnaître l'ensemble des pratiques de l'équitation mais rappeler qu'il s'est développé à partir du XVIIe siècle, en France, une tradition particulière et que celle-ci s'est continuée jusqu'à aujourd'hui.

Le recours au terme de tradition permet aussi de souligner que ce n'est pas seulement une façon de travailler avec les chevaux mais un ensemble d'écrits, de réflexions théoriques et de valeurs liées à cette forme particulière d'équitation.

Tradition française.


Si c'est en France que s'est développée cette tradition, le rayonnement même de la France aux XVIIIe et XIXe siècles l'a largement répandue dans les autres pays d'Europe, comme le français se répandait au cours de ces siècles comme la langue diplomatique et celle, aussi, des cours princières et des gens cultivés.

Rappeler l'origine française de la tradition ne veut pas dire qu'elle serait aujourd'hui encore une exclusivité des Français. Encore moins que les formes de l'équitation majoritairement pratiquées actuellement seraient issues de cette tradition. La démarche d'inscription comme élément du Patrimoine Culturel Immatériel vise bien à sauvegarder une tradition que les auteurs du dossier estiment menacée.

C'est donc avec peine que les défenseurs de l'équitation de tradition française ont entendu, juste après l'annonce de l'inscription en 2011, les propos conjoints des Ministres de la Culture et de la Jeunesse et des Sports.
"C'est la reconnaissance d'un savoir-faire ancestral qui fait partie de l'histoire militaire, sportive et culturelle de la France, marquée par de grands noms, comme Japeloup et Idéal du Gazeau, qui ont façonné la passion des Français pour la culture équestre. Cette passion se traduit dans la force des liens qui unissent les Français et le cheval que ce soit dans le sport équestre, les courses, le cirque ou encore le spectacle vivant avec les succès rencontrés par Bartabas". Les ministres, ou plutôt leurs cabinets, mal informés, avaient confondu l'ensemble des pratiques du cheval en France avec une tradition bien particulière. Ce qui en dit long sur la méconnaissance des choses équestres du côté des Sports et celle du Patrimoine Culturel Immatériel du côté de la Culture.
Il n'est donc pas inutile d'insister. L'équitation de tradition française est une pratique particulière, avec sa propre philosophie, son esthétique spécifique, une exigence que certains qualifient d'humaniste et que la reconnaissance par l'UNESCO (...pour l'éducation et la culture...) doit inciter à développer dans ses rôles éducatif et culturel.

Les actions engagées par la France

Sans reprendre, ici, les actions menées en France pour l'ensemble des éléments inscrits au PCI (voir les sites du Ministère de la Culture et de l'UNESCO), rappelons ce qui a été engagé depuis trois ans.

Le Ministère de la Culture.

Chargé explicitement du dossier, il a conduit plusieurs chantiers sous le Programme « le cheval et ses patrimoines », recherche patrimoniale dans une perspective transversale (archives, monuments historiques, musées, archéologie, Inventaire, ethnologie).

Plusieurs colloques

Le cheval et ses patrimoines, Tulle, 15-17 juin 2011
Les patrimoines de l'équitation française, Saumur, 7-9 décembre 2011
Le cheval et ses patrimoines : Collections et collectionneurs en France et en Europe, Paris, 4 et 5 octobre 2012
Le cheval en images. Art et société - Paris, 26 et 27 septembre 2013

On notera qu'à l'exception de celui de Saumur (et encore très partiellement), il ne s'agit pas de patrimoine immatériel, mais de bâtiments, d'archives, de beaux-arts, d'objets...

Un site Internet http://www.cheval.culture.fr/

Malheureusement figé, il présente une tentative pour aborder les questions de l'histoire sociale et des pratiques du cheval avec un souci de belle iconographie.

« L'homme et le cheval », « Le cheval en action », « Voitures et attelages », « L'équitation de tradition française », « L'architecture », « Patrimoine médical », « Ressources ».

Les rubriques ont été réalisées avec les bons spécialistes et méritent la visite.
Celle qui concerne le PCI ,  « L'équitation de tradition française », doit aux conditions de sa production que seul le Cadre noir présente des pratiques en vidéo. On n'y dit pas ce qui relèverait de la tradition française.

L'Institut Français de Cheval et de l'Équitation (IFCE)

A l'exception de stages courts d'équitation bauchériste , le nouvel organisme n'a rien ajouté à ses formations et prestations qui insisterait sur la tradition française.

Son site Internet aborde brièvement l'inscription par l'UNESCO mais n'a pas bougé depuis 2011 !!! Rien sur les porteurs et passeurs de la tradition autres que le Cadre noir.

La numérisation des œuvres majeures de la littérature française sur l'art équestre a été réalisée en collaboration avec plusieurs autres centres de documentation que celui de l'ENE et donne accès  à tous nos bons auteurs du passé.
http://documentation.equestre.info/bibliotheque-numerique/livres-et-documents-divers/bibliotheque-numerique-tous-les-fonds
 

La politique de colloques qui enrichissait notre culture équestre depuis 1997 (sur le rassembler) s'arrête en 2008, alors que le dossier pour l'UNESCO les mettait en avant.

Les premières rencontres de l'équitation de tradition française (novembre 2014) constituent la première action d'envergure pour aborder les suites à donner à l'inscription par l'UNESCO. Leur succès public est encourageant et on attend l'annonce des deuxièmes...

L'UNESCO et les communautés

Quand l'UNESCO défend « la diversité culturelle contre la mondialisation », quand elle réclame que les communautés porteuses des traditions soient volontaires et associées aux démarches d'inscription et de sauvegarde, il est d'abord question des minorités culturelles souvent brimées dans bien des pays.

Les États signataires de la convention pour la protection du Patrimoine Culturel Immatériel proposent les dossiers et ce sont les pouvoirs publics qui ont les moyens d'agir pour protéger, pour aider à la transmission et faciliter l'action de ces communautés.

L'UNESCO préconise cependant que les États fassent toute leur place aux communautés sans lesquelles le patrimoine ne peut être transmis. C'est un appel aux initiatives individuelles ou collectives pour protéger, diffuser et transmettre la tradition.

Communautés

Issu de l'anglais « community », le mot a, dans le vocabulaire international, un sens particulier. Il ne désigne pas une collectivité soudée et solidaire mais tout groupe défini par une particularité qu'il reconnaisse cette particularité ou pas, qu'il la revendique ou non. Par exemple, les personnes aveugles appartiennent à la communauté des mal-voyants même celles qui peuvent affirmer qu'elles n'ont aucune différence et qu'elles ne réclament aucun traitement particulier pour elles-mêmes.

Dans notre cas, il n'existe à ce jour aucune communauté organisée autour de l' « équitation de tradition française ». Certes, l'organisme d'État « Institut français du cheval et de l'équitation » qui gère le « Cadre noir de Saumur » est bien explicitement désigné comme « élément le plus représentatif », mais cela n'exclut aucun droit aux groupes et individus qui revendiquent la même tradition à prendre toute leur place dans sa sauvegarde et sa transmission.

Pour l'UNESCO, le droit à la différence est premier. Ce qui veut dire que tous ceux qui se réfèrent à l'« équitation de tradition française » pour revendiquer la particularité de leur pratique du cheval au sein du monde équestre et œuvrer à en défendre les valeurs devant les organismes de tutelle sont encouragés à le faire par l'inscription même sur la liste du Patrimoine Culturel Immatériel de l'Humanité.(PCI)

De plus, les consignes et recommandations diverses de l'UNESCO sont claires. Il n'est pas question d'imposer une voie unique ou un catéchisme qui permettraient de décider qui est légitime ou non à se dire porteur de la tradition. Ce sont les communautés qui décident. Il leur appartient d'échanger sur leurs différences et de mettre en commun ce qui les unit cependant dans la même tradition.

L'État français en proposant l'équitation de tradition française, l'UNESCO, en l'inscrivant, se sont engagés à soutenir les efforts des divers éléments de ces communautés pour la défendre, la développer et la transmettre. Encore faut-il que ces courants trouvent le moyen de s'exprimer et d'agir, sinon en cohérence, du moins en complémentarité.

Ce site me semble un des éléments utile à cette prise de parole.

 

                                                 Jean Lagoutte