Je viens de lire, sur Cheval Culture, une publication de Laurence Bougault intitulée "Notes de bon sens sur un concept à la mode : équitation de tradition française".

L’auteur rappelle avec raison que l’expression "équitation de tradition française" avait, hormis l’ouvrage de Dom Diogo de Bragance, peu cours avant que l’Unesco ne s’en empare, à partir du dossier initié par le socio-historien Jean Lagoutte et l’écuyer Patrice Franchet d’Espèrey, lesquels ont, de concert, le mérite d’avoir fait prospérer leurs convictions dans l’esprit du Comité Intergouvernemental chargé de décider de l’admission de nos savoir-faire et principes équestres spécifiquement français sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’Humanité.

Toutefois, contrairement à ce qui est dit avec une certaine malice dans l'article cité, il n'y a strictement rien de "pompeux" dans la dénomination équitation de tradition française. Le concept est fédérateur. Il rend compte des particularités de notre histoire équestre et de l'héritage de tous les grands maîtres d'équitation ayant officié dans notre pays depuis le 16ème siècle. Les préférences personnelles des uns et des autres d'entre nous ont ici peu d'importance et relèvent de ce type de subjectivité qui pollue toute démarche scientifique.

Comme bien d'autres, Laurence Bougault met en avant le contenu qui semble lui convenir au mieux pour qualifier ou définir ses pratiques personnelles. Et, à cet égard, elle a raison d'évoquer la "tarte à la crème" avec un humour de bon aloi. Mais il s'agit en réalité de tout autre chose que ce qu'elle imagine comme une sorte d'auberge espagnole où chacun viendrait vider sa besace personnelle.

L'Unesco a accueilli notre projet d'inscription à l'inventaire sur la base d'une description cohérente, à laquelle il convient de se tenir, sans déborder d'aucune manière :

"L'équitation de tradition française est un art de monter à cheval ayant comme caractéristique de mettre en relief une harmonie des relations entre l'homme et le cheval. Les principes et processus fondamentaux de l'éducation du cheval sont l'absence d'effets de force et de contraintes ainsi que des demandes harmonieuses de l'homme respectant le corps et l'humeur du cheval. La connaissance de l'animal (physiologie, psychologie et anatomie) et de la nature humaine (émotions et corps) est complétée par un état d'esprit alliant compétence et respect du cheval. La fluidité des mouvements et la flexibilité des articulations assurent que le cheval participe volontairement aux exercices".

Je veux en rester là ; et ne pas broder je ne sais quel ornement personnel sur le sujet. C'est pour cela que j'avais proposé une définition lisible du concept en sortie du colloque saumurois d'octobre 2014 :

"issue des pratiques équestres cultivées depuis plusieurs siècles par une longue lignée d'écuyers et leurs élèves, l'équitation de tradition française est caractérisée par l'harmonie de la relation entre le cheval et son cavalier et une exécution fondée sur la recherche de légèretés et sur le renoncement à toute forme de violence coercitive ou de surexploitation économique et commerciale".


Cette approche satisfait ma curiosité intellectuelle et me convient aussi en tant qu'écuyer. Pour l'esprit, elle est cohérente ; pour la pratique quotidienne, elle m'indique l'essentiel des comportements qu'il m'appartient de cultiver à l'égard de ma monture, voire des interdits implicitement énoncés au nom de l'éthique.

Les Rencontres saumuroises d'octobre 2014 ont permis d'écouter les uns et les autres. C'est le grand mérite de l'IFCE d'avoir réussi à réunir la quasi-totalité des obédiences cavalières dans un amphithéâtre et de les mettre en discussion, parfois en confrontation. Même si l'organisateur a dû entendre ses oreilles siffler quelques fois, il doit être associé au succès de ces journées. Car il s'agit bien de réussite lorsque plusieurs centaines de cavaliers parviennent à échanger leurs expériences, même s'ils n'aboutissent à aucun résultat tangible immédiat.

Contrairement à Laurence Bougault, je n'ai détecté aucune mondanité particulière dans cette réunion. J'y ai seulement rencontré des personnes passionnées par leur art, s'exprimant avec émotions et compétence, chacun dans son domaine de prédilection. Bien évidemment, aucune unanimité n'a été dégagée. Les miracles ne sont pour tout de suite que dans la virtualité.

Ce colloque, incontestablement d'une nouvelle espèce, a permis de fixer les idées d'un grand nombre de participants : il n'y a pas d'accord immédiat possible sur l'interprétation du principe de l'harmonie des relations entre l'homme et le cheval. Il n'y a pas davantage de pensée unique sur ce que peuvent évoquer "la sincérité, la maîtrise de la gestuelle et la connaissance approfondie du cheval". Il y a un clivage évident entre les tenants de l'art équestre et les tenants du sport équestre ; il y a cette pollution majeure de la compétition et de ses dérives mercantiles et techniques.

Mais il y a aussi la prise de conscience de tous que le rapport de l'homme au cheval doit désormais être basé sur la douceur et demeurer exclusif de toute brutalité et de tout excès ; que ce comportement de l'homme de cheval est de nature à apaiser le cheval et à rendre son emploi plus aisé et accessible au grand nombre de cavaliers en formation dans notre pays. Cela est déjà une victoire indiscutable.

Il convient à présent de préparer la suite, c'est-à-dire de tenir les engagements que nous avons pris à l'égard de cet organisme international qu'est l'Unesco de tout faire pour sauvegarder le patrimoine qui nous est dévolu et pour préserver l'essentiel de son contenu, afin de pouvoir le transmettre en bon état de conservation à la génération qui vient.

Laurence Bougault indique quelques pistes qui permettent, selon elle, de mieux découvrir les contenus du concept d'équitation de tradition française. Je respecte totalement ses convictions.

Mais pourquoi donc ne viendrait-elle pas les échanger au sein de la Communauté Tradition Equestre Française (http://www.communaute-tradition-equestre-francaise.org/), où, contrairement à ce qu'elle semble craindre, rien ne se passe "en catimini" ? Je puis d'ores et déjà lui assurer que je me ferai, avec elle, l'ardent défenseur de "la descente de mains et de jambes comme idéal, l'amuïssement progressif de l'usage des aides en général, la liberté sur parole du cheval dans les exercices, la nuque le point le plus haut, l'équilibre horizontal".

Je partagerai bien moins ses certitudes quant à ce qu'elle désigne sous le terme générique de "syndrome de la mauvaise conscience" qui nous inhiberait face à une équitation germanique hégémonique et ravageuse. Pour l'avoir côtoyée en direct, en Allemagne et dans quelques pays de l'Europe du Nord, je n'ai pas la moindre retenue ou le plus petit scrupule à rejeter, purement et simplement, et en bloc, tout ce qui provient de l'équitation germanique sportive. Cela ne m'empêche en rien de profondément respecter l'équitation allemande pratiquée dans les lignées de son école classique, laquelle est, au demeurant, d'inspiration viennoise, donc française.

Cela étant, je crains, comme elle, le pire quant à la propension actuelle des tenants français de l'équitation sportive de compétition à se rallier à la bannière teutonne. Les premiers symptômes d'une telle trahison ont en effet pu être détectés récemment à Saumur. Le Cadre Noir serait-il soudain devenu amnésique et aurait-il oublié les recommandations du colonel Margot, l'un de ses chefs les plus prestigieux ? La victoire sportive ne saurait être une finalité coûte que coûte ! Si elle est obtenue au détriment du cheval, elle n'est que méprisable.

Bernard Mathié © janvier 2015