L'expression « équitation de tradition française » est en train de devenir une tarte à la crème d'un certain nombre de pratiquants, plus ou moins enseignants, alors qu'elle était tout à fait inemployée avant que Patrice Franchet d'Espèrey ne présente à l'UNESCO un dossier pour faire inscrire cette « équitation de tradition française » au patrimoine immatériel de l'humanité. Avant, on parlait moins pompeusement d'école française.
Un récent colloque donné en grande pompe comme une soirée mondaine à l'IFCE, est venu adouber l'expression en lui donnant les lettres de noblesse de quelques stars.
Ce faisant, j'observe à travers ces différentes manifestations de l'expression, à la fois des divergences assez notoires sur ce qu'on entend par « équitation de tradition française » et l'oubli étonnant de ce qui est spécifique : « française » et pas « espagnole », « allemande », « arabe », etc...
Je reprends donc ma plume pour jouer mon rôle préféré : celui du naïf pratiquant doté d'un solide bon sens, de quelques compétences linguistiques et d'un peu de culture livresque.
Petit parcours naïf des titres de communication du colloque intitulé « Premières rencontres de l'équitation de tradition française » (qui n'est d'ailleurs pas le premier, ça commence mal pour la vérité des propos !) :
On constate dès la lecture que certaines communications ne portent pas sur l'équitation de tradition française : « art équestre » en général, « équitation traditionnelle européenne », « équitation de tradition latine », « équitation éthologique »... Diantre, l'UNESCO se serait-il fait avoir ?
D'autres communications semblent plus intéressantes dans la mesure où elles abordent un aspect technique de ladite équitation : « sauts d'école », « méthodes de dressage ». Elles sont rares.
Beaucoup de communications portent sur la place de l'équitation de tradition française : dans les clubs, l'enseignement, la politique, la culture, le sport, le spectacle, etc...
Une seule communication envisage de retracer ce dont il s'agit, celle de Patrice Franchet d'Espèrey : « Les origines de l'équitation de tradition française et proposition pour une nouvelle évolution ».
Un seul titre de communication propose de rattacher (en partie ?) cette équitation à l'un de ses représentants : François Baucher, il s'agit de la communication de Bernard Sachsè.
Aucune ne propose la moindre réflexion sur la définition !
En tant que pratiquante lambda, ayant qui plus est travaillé avec François Lucas, Patrice Franchet d'Espèrey et Bernard Sachsè, je m'en vais donc mettre mon grain de sel.
1° Ni Sachsè ni Lucas ne se sont présentés à moi comme enseignant en particulier l'équitation de tradition française. Fallait deviner. Je le dis pour contribuer par l'exemple au débat sur la place de cette équitation dans l'enseignement... Si tous les éthologues ont clairement l'étiquette éthologues, les représentants de l'équitation de tradition française, il faut les trouver par instinct ou par hasard !!! noyés qu'ils sont dans les mille prétendants à une équitation de qualité ! Pour cause, dans le cas de Lucas au moins, ils participent à l'équitation sportive, qui, parfois, semble bien contraire aux enjeux de l'équitation de tradition française, j'y reviendrai, ou bien leur enseignement est fort mâtiné d'éthologie, ce qui n'est sans doute pas contraire à l'école française mais parfois vient pour le moins introduire de la confusion, ne parlons pas de l'influence des philosophies orientales, qui elles aussi ne contredisent pas notre équitation mais enfin l'infléchissent dans un sens bien particulier. Pour moi, c'est un peu comme si un marchand vous vendait un Pur Sang de mère ibérique ou bien quarter horse... Il devient compliqué d'évoquer ses origines pour rendre compte de ses qualités.
2° Ayant appris en écoutant tous ces gens savants, hommes de cheval pour la plupart (mais pas tous), que je pouvais retenir quelques personnages clefs dans l'histoire de cette équitation (logique, on parle de tradition), j'en retiens : La Guérinière, Baucher, L'Hotte.
Ces trois Français semblent parfois se contredire, ce qui ne va pas m'aider à savoir ce dont il s'agit !
3° Si je veux savoir ce qu'est intrinsèquement cette équitation, la première chose à faire serait sans doute de trouver un point commun entre tous ces auteurs, et de comparer ces auteurs français à leurs voisins européens ?
1. Équitation française : le cheval est un autre moi-même
- Désignation des parties du cheval par des termes de l'anatomie humaine : hanches, jambes, bouches, n'est pas anodine et institue le cheval comme un animal à part dans la culture française. Cet animal est de loin le plus humanisé (et même féminisé) de tous les domestiques de notre pays. Ce n'est pas un hasard. Notre équitation n'est pas une équitation qui objectalise le cheval et c'est assez rare en Europe. On peut penser qu'il y a là une des grandes différences avec les autres pays européens.
- Maintien permanent de l'idée que le cheval est intelligent, pense, réfléchis, etc.
Baucher écrit « C'est à l'intelligence du cheval qu'il faut s'adresser ». Ce principe est en général maintenu ou préside à l'équitation française qui est l'une des rares à penser l'éducation du cheval en prenant en compte son « moral ». Pour preuve, le fait que l'impulsion soit envisagée justement sous l'angle moral « désir de se porter en avant » et non sous l'angle mécanique.
2. Supériorité (vérité) de la pensée biomécanique française
Côté allemand, le Schwung est une aberration biomécanique, ainsi que la tension du dos, la jambe plaquée, le contact permanent sur la bouche.
Côté « équitation éthologique », la posture basse de la tête est, en soi, un non sens biomécanique, anti-naturel au possible, et pour s'en convaincre il suffit d'observer la locomotion du cheval en liberté.
Côté ibérique, l'assise du cheval sur les postérieurs engendre une fatigue des membres postérieurs, elle aussi anti-biomécanique.
Au contraire, la descente de mains et de jambes comme idéal, l'amuissement progressif de l'usage des aides en général, la liberté sur parole du cheval dans les exercices, la nuque le point le plus haut, l'équilibre horizontal, sont les garants de la meilleure intégrité physique possible.
3. Le cheval partenaire vs le cheval mécanique
Il résulte de 1. et 2. que dans l'équitation française le cheval est perçu comme un partenaire intelligent dont il faut obtenir d'abord la collaboration mentale pour pouvoir développer une collaboration physique, toujours dans le souci de conserver l'intégrité physique et mentale du cheval. Dans la plupart des autres cultures/pratiques équestres les chevaux ne sont qu'un moyen mécanique qu'il faut mettre à notre disposition. L'homme est la tête, le cheval le corps, l'homme le dominant, le cheval ipso facto le dominé. Cette vision place le cheval en position d'esclavage et seule la bienveillance du cavalier limitera l'usage de l'esclave, ce qui est la porte ouverte à toutes les « dérives » et à tous les « jeux de massacre » possibles. Faisons simple, dis-moi l'âge de ton cheval, ses maux et je te dirai si tu l'as bien mené.
4° Le syndrome de la mauvaise conscience
Il semble que l'équitation française souffre du syndrome de la mauvaise conscience qui touche les minorités face à un dogme en place. Depuis que l'Allemagne a gagné la guerre, elle a imposé son équitation militaire aux autres, peut-être parce que cette équitation est somme toute plus facile que l'équitation française. De fait, réduire l'autre en esclavage ne nécessite que de la force, alors que le dialogue lui suppose des qualités d'ouverture, de réflexion, de remise en question, qu'il est plus difficile de développer.
Ce syndrome me semble aussi pénible que ridicule. Il inhibe toute possibilité de rendre à l'équitation française une place efficace et explique même l'engouement de personnes sensibles et de bonne volonté pour « l'éthologie » qui a su, elle, se revendiquer sur le terrain du bien-être du cheval, alors même que ses méthodes laissent plus que perplexes quant à la réalité de ce bien être. Bref, ce manque de confiance en soi est en partie cause de sa disparition. Il engendre en compensation et pour le pire un syndrome d'élitisme et un effet de cénacle des plus pervers. Je ne citerai pas de noms mais bon nombre des pratiquants de l'équitation française prennent les équitants pour des imbéciles et les rejettent au lieu de les former. Ce cénacle œuvre en catimini au lieu de faire l'effort d'éduquer les ignorants. C'est facile, mais fort peu efficace pour la défense de cette équitation et pour le bien être des chevaux.
Au lieu de faire des associations entre eux, ils feraient mieux de se fédérer réellement, d'organiser des concours sur leurs critères, bref d'agir ! Les interminables palabres des forums, associations, etc etc, ne produisent, depuis vingt ans déjà, que des désaccords et n'aboutissent à rien, pire, ces bavardages ne font que rendre confuses des choses simples.
Les tentatives de fusion des deux écoles principales de l'Europe sont aussi ridicules que contredites par les faits comme en témoignent le lexique de la FFE au regard des systèmes réels de notation des épreuves internationales. Il faut donc se dissocier de façon claire en posant des principes simples et en créant des concours permettant d'évaluer ces principes
1° La légèreté c'est le minimum d'emploi des aides possibles. Partant, ni la bride ni l'éperon ni même le mors ne devraient être obligatoires ! L'équitant est évalué sur la qualité du travail du cheval =>
2° Cette qualité s'évalue en premier par la position de la nuque et de la tête.
3° Par la rectitude du mouvement qui témoigne de la qualité de l'équilibre (là on est surpris de voir des chevaux se tortillant au passage être si bien notés parce que droit, c'est droit de partout !)
4° Par la qualité du mouvement évaluable par la permanence de la cadence et l'ampleur de la foulée, cette qualité du mouvement devant être évaluée au naturel (pour voir les défaut d'allure naturels du cheval) et monté (pour voir comment le travail monté influence positivement, ou négativement, ces allures naturelles)
Voilà, j'ai terminé ! Toutes les figures, tous les airs peuvent s'évaluer selon ces quatre petits critères, avec ou sans mors, et tout le reste n'est que du baratin inutile. La différence entre un cavalier débutant, et un expert ne se situera que dans la complexité des figures et airs abordés, comme d'habitude.
Alors, vous commencez quand, messieurs les professionnels de l'équitation de tradition française ?
Laurence Bougault