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La géométrie est un élément essentiel de la première restitution rationnelle des pratiques corporelles qui s’opère à la Renaissance, de leur notation, de leur transcription écrite. La géométrie des fi gures et des mouvements exécutés par le cheval a pour corollaire celle des postures du cheval, comme d’ailleurs celle du cavalier et de ses aides.

La passade et la volte carrée

La figure fondamentale de l’équitation ancienne est la « passade », aller et retour sur une ligne droite fermée par un demi-tour. C’est la fi gure du combat singulier à cheval dont l’objectif est de pouvoir piquer de l’épée. Selon qu’il faille feinter l’ennemi ou tromper son propre cheval pour qu’il n’anticipe pas à tord les intentions de son cavalier, la fermeture de la passade prend différentes formes décrites avec une grande précision par Cesare Fiaschi, créateur de l’académie de Ferrare en 1534, dans son Traité de la manière de bien embrider, manier et ferrer les chevaux de 1556.

Passade

Fossé servant à l’apprentissage de la Passade. Pierre de La Noue,
La Cavalerie françoise et italienne, 1620.

« La ligne de la passade doit être d’environ cinq longueurs de cheval, et les demi-voltes ne doivent avoir qu’une longueur dans leur largeur, en sorte qu’elles sont plus étroites de la moitié qu’une demi-volte ordinaire ; parce que, comme ce manège est fait pour le combat, lorsqu’un cavalier a donné un coup d’épée à son ennemi, plutôt il peut retourner son cheval après cette action, plutôt il est en état de repartir et de fournir un nouveau coup. Ces sortes de demi-voltes de combat se font aussi en trois temps ; et le dernier doit fermer la demi-volte : il faut qu’un cheval soit raccourci et sur les hanches en tournant, afi n d’être plus ferme sur ses pieds de derrière, et de ne pas glisser : le cavalier en est aussi plus à son aise et mieux en selle. »

C’est à partir de la passade que Pignatelli élabore un système de dressage et d’assouplissement du cheval, et invente la « volte carrée ». Cette fi gure se compose de segments de passades, de demi-passades réunies par des quarts de pirouette qui sont peu à peu agencées ensemble. La Broue expose et développe la technique de segmentation des figures qui précède leur exécution complète.

volte carree la broue

La Volte carrée réduite en
pirouette. Salomon de La Broue, Préceptes
du cavalerice françois, Livre II, 1612.

 

Sa technique n’est pas sans rappeler, et même préfigurer, un des cinq principes de la deuxième manière de Baucher, la « décomposition de la force et du mouvement » qui implique la cessation de tout mouvement à l’apparition de la moindre résistance. Pour obtenir un équilibre parfait du cheval et sa décontraction sous l’effet des aides, il s’agit de ne jamais continuer un mouvement mal commencé ou qui se dégrade en cours d’exécution. Tandis que La Broue prend la ligne droite pour réduire la difficulté que présente le cheval, Baucher l’immobilise, traite sur place chaque résistance et ne reprend le mouvement interrompu que lorsque l’équilibre et la décontraction sont revenus. Il existe bien une logique de la ligne droite et de la rectitude du cheval.

Un élève de Baucher, Louis Rul, publie en 1870 un petit opuscule de 34 pages, Progression méthodique du dressage en simple filet de tous les chevaux de la cavalerie. Considérant que le mutisme des chevaux provient de la roideur de l’encolure dont il faut égaliser l’extension afi n de rendre le cheval droit d’épaules et de hanches tout en rétablissant ses aplombs, il dresse son cheval à partir de lignes droites parcourues sur la largeur du manège et terminées par des quarts de pirouettes, d’abord renversées, puis ordinaires. Cela n’exclut pas ensuite le travail de deux pistes également décomposé. Rul prépare chaque exercice par la disposition des hanches ou des épaules du côté opposé au mouvement prévu. Par exemple, la pirouette ordinaire de gauche à droite sera précédée du déplacement des hanches d’un pas de droite à gauche et la pirouette renversée de gauche à droite par celui des épaules d’un pas de droite à gauche .

pirouettes rul

Pirouette renversée.
Louis Rul, L’hyperbauchériste

Dans le prolongement cette logique, Étienne Beudant écrit en 1923 dans Extérieur et Haute École qu’il considère l’épaule en dedans et les divers appuyers comme de simples divertissements, souvent dangereux et qu’en conséquence il ne cesse de s’efforcer d’avoir son cheval le plus possible droit de hanches et d’épaules. Pour tout lui apprendre, « il suffi t de l’habituer à se porter en avant sous l’action des jambes, tout en restant léger à la main. Il répond alors de suite, si on ne le gêne pas, à toute demande bien faite ». Il proclame l’inutilité des assouplissements dans Dressage du cheval de selle de 1928, estimant que les pas de côté n’ont d’utilité pour le cavalier militaire que de se placer dans le rang. Les objectifs des cavaliers de la Renaissance étaient d’une tout autre nature. Les voltes carrées exécutées de deux pistes étaient peu à peu réduites à la volte sur les hanches.

La Guérinière dit que travail sur les voltes était destiné à rendre les chevaux plus adroits dans les combats d’épée et de pistolet avant que les duels ne fussent interdits. Il s’agissait soit de gagner la croupe de son ennemi soit d’éviter de se laisser gagner la sienne, en faisant toujours tête à son adversaire, ce qui suppose la maîtrise de la pirouette renversée. Le nom de La Guérinière est resté attaché à la volte carrée.

Le cercle et l’incurvation latérale du cheval

La volte carrée nous ramène ainsi au cercle. La tradition rapporte que Pignatelli tournait à la longe les chevaux en passant la longe autour d’un tronc d’arbre13, mais on ne trouve la première trace d’un travail systématique sur le cercle que chez deux écuyers français, Pierre de La Noue dans La Cavalerie françoise et italienne de 1620  et Pluvinel dans son Instruction du roi en l’exercice de monter à cheval, publiée à titre posthume en 1625. C’est ce que l’on appelle le travail au pilier unique et au double pilier. Le cheval s’assouplit en décrivant un cercle autour du pilier tout en déplaçant ses hanches soit vers le dehors soit vers le dedans. La Guérinière transforme cet exercice en « épaule en dedans ». Il demande au cheval de quitter le cercle par une tangente tout en conservant la posture incurvée obtenue sur le cercle. Elle est indissociable de la « croupe au mur », qui est le même déplacement de côté mais dans l’incurvation inverse. Dans l’épaule en dedans le cheval regarde d’où il vient, dans la croupe au mur le cheval regarde où il va. Le dressage du cheval ainsi conçu repose sur l’obtention des incurvations latérales et sur leur maintien dans des mouvements diffi ciles comme le piaffer et le passage pour donner au spectateur l’impression que le cheval travaille plus assis.

la noue cavalerie francaise et italienne 1670 0023

Travail au pilier. Pierre de La Noue,
La Cavalerie françoise et italienne, 1620.

pilier unique pluvinel

Travail sur le cercle. Antoine de Pluvinel, Le Maneige royal,
Brunswig, Gottfridt Muller, 1626.

Chez Fiaschi et La Broue, le travail reposait sur la rectitude du cheval qui permet de bien porter le coup à l’ennemi. On dit d’un cheval qu’il est droit lorsque les pieds postérieurs se posent sur la ligne des pieds antérieurs correspondants.

Ainsi pouvons-nous résumer l’évolution de cette géométrie : à partir de la ligne de la « passade » qui s’exécute en plein air le long de la lice du tournoi, le cheval entre dans le manège rectangulaire des académies dont les quatre lignes droites se resserrent en volte carrée pour devenir la volte de deux pistes sur les hanches qui, elle-même, engendre la pirouette. L’équitation savante n’a plus besoin d’espace, « elle est faite de concentration de pensées et d’énergie », le cheval se meut de façon ascensionnelle. L’espace des manèges est révélateur de cet état d’esprit. Il était assez réduit puisque, par exemple, le manège des Tuileries construit en 1722 où exerça La Guérinière avait 48,39 m par 11,86 m. À titre de comparaison, les impératifs militaires de la deuxième moitié du XVIIIe siècle feront évoluer les manèges à tel point que le manège des gendarmes rouges de Lunéville atteindra pratiquement 30 m par 100 m. Le besoin d’étendre les allures des chevaux aura aussi sa répercussion au XXe siècle et la piste des épreuves internationales de dressage se fixera à 20 m par 60 m.

À la suite de la mort accidentelle de Henri II en 1559 au cours d’un tournoi, les carrousels remplacèrent progressivement les joutes. À l’image des ballets de cour, si à la mode à partir de la fin du XVIe siècle, des ballets de chevaux s’y intégrèrent. En France, le plus célèbre est celui ordonné par Pluvinel pour le carrousel donné en 1612 en l’honneur de l’annonce des mariages de Louis XIII et de sa soeur Élisabeth avec les infants d’Espagne.

Ballet pluvinel

Le Ballet de Pluvinel. Antoine de Pluvinel, Le Maneige royal,
Brunswig, Gottfridt Muller, 1626.

Les douze cavaliers, six chevaliers et six écuyers, sont répartis sur deux cercles concentriques et n’exécutent que des passades et des voltes serrées ou des pirouettes, à courbettes sur le cercle intérieur et au galop gaillard à l’extérieur. La structure concentrique de symbolique toute aristotélicienne se retrouve identique sur une gravure d’un ballet de cour, le « ballet des Polonais » de 1573, dansé par seize femmes. L’équitation destinée à prendre l’avantage sur l’adversaire dans le combat singulier s’est convertie en danse pour les chevaux. À l’instar du ballet de l’époque, l’équitation a développé des sauts, ce que l’on appelle les airs relevés : la capriole, l’orsade, le saut-de-mouton, etc. Dans le double pilier inventé par Pluvinel le cheval apprend à se mettre sur les hanches et à se maintenir en équilibre sur les postérieurs dans la pesade qui est le fondement de tous ces airs relevés. Ces sauts ont été codifiés par La Guérinière.

la gueriniere ecole de cavalerie 1733 0111

Les Airs relevés, par Charles Parrocel. François Robichon de La Guérinière,
École de cavalerie, Jacques Collombat, 1733.

 

Le fondement de ses airs relevés est le terre à terre (qui est mis au nombre des airs bas), galop de deux pistes en deux temps, parce que généralement tous les sauts se font en deux temps. Tous les sauts sont plus détachés de terre que le terre à terre. On en compte sept : la pesade (le cheval lève le devant sans avancer), le mézair (moitié air, seulement un peu plus relevé que le terre à terre), la courbette (le cheval est plus relevé du devant que dans le mézair), la croupade (plus relevé que la courbette, le cheval trouse les postérieurs sous le ventre), la balotade (le cheval présent ses fers de derrière sans pourtant ruer), la cabriole (le cheval détache une ruade lorsqu’il est à égale hauteur du devant que du derrière) ainsi que le pas et le saut (se forme en trois temps, un temps de terre à terre, une courbette et une cabriole, et ainsi de suite).

S’agissait-il seulement d’une ornementation de la chorégraphie des carrousels ? En tout cas et quoiqu’on en ait pu dire par la suite, les airs relevés étaient considérés comme inutiles pour la guerre qui, nous dit La Broue, comporte suffi samment de risques pour ne pas en rajouter.

La cadence des allures

Qui dit danse, dit cadence. Pour rendre compte du rythme des allures qu’il décrit, Fiaschi associe la notation musicale aux gravures illustrant certains chapitres de son livre. C’est que, dans le travail d’école, la beauté d’une allure provient en grande partie de la répétition égale de chaque foulée et de son ralentissement. La moindre irrégularité signale un travail forcé.

« […] Si d’avanture quelque gaillard Chevalier trouve estrange, qu’en ce second livre j’ai voulu insérer & peindre quelques traits & notes de Musique, pensant qu’il n’en estoit point besoin, je luy répond que sans temps & sans mesure ne se peut faire aucune bonne chose, & partant ay-je voulu monstrer la mesure par la musique figurée. »

f4

La Musique fi gurée. Cesare
Fiaschi , Traicté de la manière
de bien embrider, manier et ferrer
les chevaux, Paris, livre II, 1611.

La cadence est faite de la répétition d’un même rythme. Le rythme, c’est la régularité des battues d’une foulée dans une allure donnée. La battue est le son provoqué par le poser du pied du cheval sur le sol. Ainsi le pas est à quatre temps, le trot, le piaffer et le passage à deux temps, le galop à trois ou quatre temps – outre un temps de suspension qui devrait être noté comme un silence –, et les sauts d’école anciens à deux temps. Il existe d’autres allures qui n’entrent pas dans celles pratiquées au manège et sont considérées comme défectueuses, tels l’amble, l’aubin ou le traquenard ; les Américains ont inventé les fi ve gates horses qui amblent une vitesse avec laquelle les trotteurs ne peuvent rivaliser. Le passage comporte un ralentissement de la cadence du trot, les membres antérieurs s’élèvent et se soutiennent en s’arrondissant, les jarrets se plient comme mus par des ressorts et les pieds rebondissent du sol comme des balles élastiques. Souvent considérée comme le critère par excellence de l’art équestre, cette allure ne l’est véritablement que lorsque son exécution est accompagnée d’une légèreté parfaite. Pour obtenir ce ralentissement du passage, Étienne Beudant fredonnait « Sambre et Meuse ».

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