Baucher , une nouvelle esthétique
D'Aure et Baucher ont dominé leur époque et replacé l'équitation sur le devant de la scène. Ils ont fanatisé leurs disciples et passionné leurs adversaires, chacun dans le domaine qui lui était particulier. L'équitation d'Aure est simple et facilement transmissible, mais elle reste bornée à l'équitation d'extérieur. L'équitation Baucher est artistique et présente des perspectives plus étendues. Pour d'Aure, le cheval se porte franchement en avant et « sur la main » à la pression des jambes, ce qui permet d'obtenir l'extension des allures. Pour Baucher :
« Le cheval se place derrière la main, tout en se grandissant, en même temps qu'il coule en avant des jambes ».
Géricault monté par François Baucher en uniforme militaire,
par Baucher, Souvenirs équestres. Lithographie, s.d.
François Baucher est né en 1796 à Versailles. À quatorze ans, il est emmené en Italie par un oncle qui dirige les écuries du prince Borghèse, époux de Pauline Bonaparte depuis 1803. Piqueur aux écuries du duc de Berri en 1816, on le retrouve en 1820 écuyer civil au Havre. Il prend également la direction de l'ancien manège de Franconi à Rouen. C'est à cette époque qu'il publie à Rouen son premier ouvrage, le Dictionnaire raisonné d'équitation (1833).
Il s'installe à Paris vers 1834 et s'associe avec Jules-Charles Pellier pour diriger le manège du Faubourg Saint-Martin. En 1837, il s'associe aussi avec Laurent Franconi , le spécialiste le plus expérimenté en matière de cirque, qui avait fait entrer la haute école sur la piste où l'on ne présentait jusqu'alors que du dressage en liberté, de la voltige ou des ballets équestres. Baucher entre dans la période la plus prestigieuse de sa carrière, au cours de laquelle il présente ses quatre plus célèbres chevaux, et notamment le fameux Partisan. De nombreux officiers pratiquent et même enseignent cette équitation dite « de la première manière ».
Cours de haute école par M. Jules Pellier, la demi-volte. Jules Pellier,
Le Langage équestre, Paris, Librairie Delagrave, 1889.
À partir de 1830, la vogue du cirque va croissant. Le bon ton veut que le « gentleman » qui a succédé au gentilhomme dans l'échelle sociale, se montre au cirque comme aux courses. Pendant quinze ans, à Paris, Berlin, Vienne, Milan et Venise, la valeur inégalée de la nouvelle méthode de Baucher lui permet de remporter d'éclatants succès.
En 1842, il publie sa Méthode d'équitation basée sur de nouveaux principes. C'est l'exposé de sa première manière. Bien qu'elle donne déjà des résultats qui émerveillent ses contemporains, elle est encore entachée de bien des imperfections.
Baucher se détourne de la pratique des « airs relevés » de l'équitation ancienne pour ne s'intéresser qu'à la stylisation des allures naturelles. Asseoir un cheval tel que le réclame la « pesade » est en contradiction avec les règles de sa nouvelle esthétique . Il demande seulement au rassembler de lui permettre de développer l'agilité du cheval en tous sens dans ses mouvements usuels.
Chef d'école vénéré par des disciples issus de tous les milieux et de toutes les professions, célèbre et protégé par le duc d'Orléans, il s'efforce de faire adopter sa méthode par une armée qui cherche à se réformer dans ce domaine. Mais la mort accidentelle du duc d'Orléans ruine ses espoirs. Sa méthode est interdite dans l'armée en 1845 et, deux ans plus tard, le comte d'Aure est nommé à la tête du manège de Saumur.
En 1855, le grand lustre qui surplombe la piste du cirque où il travaille seul se détache et le blesse grièvement. Il ne paraîtra plus en public mais élabore sa dernière manière. Il meurt en 1873.
De la première à la dernière manière
Les imperfections de la première manière n'échappent pas aux disciples les plus expérimentés de Baucher. Ils l'assagissent, l'amendent à leur façon et publient des méthodes dérivées de celles du maître. Toutefois, aux corrections de Baucher apportées par Raabe, Gerhardt, Wachter et autres, il faut préférer Baucher corrigé par Baucher , qui, après « quarante ans de travail, de recherche et de méditation » formule sa « deuxième manière ».
Les derniers enseignements de Baucher sont exposés par le général Faverot de Kerbrech dans le Dressage méthodique du cheval de selle... en 1891. Rien de plus clair, de plus ordonné et de plus achevé n'a été écrit sur le dressage. C'est la meilleure synthèse de l'apport de Baucher.
L'heure de gloire du bauchérisme est vraiment le Second Empire : l'empereur lui-même a chargé Baucher d'un cours et Faverot dresse les chevaux de l'empereur au palais de l'Alma, dernier véritable sanctuaire de l'équitation savante. Après 1870, le bauchérisme perd du terrain.
Le général L'Hotte, non content de proscrire l'équitation savante de l'École de Saumur, porte un coup sévère à la méthode en rédigeant lui-même, dans la plus pure orthodoxie d'Auriste, l'Instruction à cheval du Règlement de 1876 pour la cavalerie. Cependant, au XXe siècle, un autre écuyer , le capitaine Beudant , qui a servi sous les ordres de Faverot, a égalé la pureté de ses illustres devanciers.
Les fusionnistes
Baucher forme et inspire une pléiade d'écuyers de tout premier plan dont d'Aure lui-même sut reconnaître la valeur. D'Aure recommande le commandant Guérin pour lui succéder à la tête du manège de Saumur. Puis vient le tour du général L'Hotte et du commandant Dutilh, élèves à la fois de Baucher et d'Aure . Il fut longtemps de règle de penser que Guérin et Dutilh avaient amorcé la fusion des écoles d'Auriste et bauchériste. La lecture attentive de l'œuvre de Guérin, dans la pure orthodoxie bauchériste, l'exclut du groupe de ceux que l'on appelle les « fusionnistes ». La position du général L'Hotte n'est pas différente :
« Si le cavalier est assez habile pour atteindre le but qu'ambitionne l'équitation Baucher , c'est avec la plus grande facilité que sur le même cheval, il satisfera à toutes les exigences de l'équitation d'Aure, tandis que la réciproque ne saurait exister. »
Ses Questions équestres (1906) tiennent plus d'une étude comparative des deux écoles que d'une synthèse. La synthèse peut être plus facilement attribuée à Dutilh, écuyer en chef en 1874, à qui l'on doit l'invention de la descente d'encolure sous le nom équivoque de « descente de main ». Cette descente d'encolure comporte comme conséquence l'affaissement de l'encolure, la bouche courant après l'appui qui lui est enlevé. Le procédé de La Guérinière suppose au contraire que le cheval, quoiqu'on lui rende la main, continue son mouvement de lui-même.